NON, LES TSIGANES NE SONT PAS DES NOMADES

Publié le par FDG Orange

 

 

Démantèlement de campements roms en France, discriminations en Hongrie ou en Roumanie… Partout, les Tsiganes sont montrés du doigt. Et l’image d’une ethnie sans attaches nationales, valorisée par les institutions européennes, a paradoxalement conduit à les priver de certains de leurs droits. Toutes représentations qui méconnaissent l’histoire, la culture et les réalités romanis.

 

Par Henriette Asséo / Monde Diplomatique 

 

Vieux continent différencié, l’Europe ne saurait se définir comme une association de tribus juxtaposées. Mais les crises nationales favorisent la montée de l’irrationalisme politique, en élargissant les frustrations réciproques. Les clichés de la vieille psychologie des peuples reviennent en force : l’Allemand serait « discipliné », le Français « chauvin », le Grec « méditerranéen » et le Rom « nomade » ! Nomade ? Depuis quatre siècles, les Roms de l’Europe centrale ou balkanique sont… sédentaires. Les familles ont des attaches territoriales stables et anciennes. Elles ne se sont pas multipliées par génération spontanée au milieu de campements erratiques. Pourquoi alors le mythe du nomadisme tsigane (1) connaît-il un tel succès politique ? Par quel diabolique mouvement les occupants de « campements illicites » — au demeurant, autorisés par les préfectures depuis une décennie — sont-ils devenus des « Roms migrants », des « nomades administratifs » qui seront demain assignés au cantonnement ? Pourquoi ne voit-on pas le danger à laisser refermer sur des familles ainsi concentrées la tenaille asphyxiante de l’identification et des fichiers collectifs ?

 

Le passé de l’Europe rappelle combien la classification ethnique est dangereuse lorsqu’elle devient un principe organisateur. Or la construction artificielle à l’échelle européenne d’une question rom recèle les prodromes d’une exclusion globale.

 

Pourtant, l’effondrement du bloc communiste était censé offrir un champ illimité de possibilités démocratiques aux anciens pays de l’Est. Les directives européennes considéraient le modèle du pluralisme ethnique comme une forme supérieure de la démocratie — les collèges électoraux étant même formés à travers des déclarations ethniques. Dans chaque Etat, un droit des minorités reconnu par les lois constitutionnelles devait permettre de combiner émancipation sociale et politique. Dans cet esprit, l’adoption d’une citoyenneté multiculturelle (multicultural citizenship) allait harmoniser naturellement le droit des minorités et favoriser l’épanouissement de la démocratie (2). Dès lors que l’idée même d’une résurgence totalitaire était éliminée, la « démocratie ethnique » apparaissait comme un programme politique cohérent et idéal. Que les deux seuls Etats fédéraux, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie, n’y aient pas résisté ne troubla pas longtemps les chantres de cette conception.

 

Le modèle hongrois, à cette époque, était cité en exemple. La loi de 1993 sur les droits des minorités nationales et ethniques poussait jusqu’au bout la logique du « tout minoritaire ». Elle reconnaissait l’existence de treize minorités « autochtones », dont la minorité rom. Elle autorisait la représentation ethnique à tous les échelons, ce qui revenait à subordonner les petits groupes à des groupes plus puissants.

 

La nature politique d’un nouvel ostracisme antitsigane fut donc sous-estimée. Les vagues d’agressions physiques et d’assassinats des années 1995-1998, en Autriche ou en Tchécoslovaquie, furent attribuées à des « skinheads », selon l’euphémisme langagier de l’époque !

 

Dès 1991, la technocratie bruxelloise s’était entichée des Roms comme métaphore de la liberté de circulation dans l’espace pan-européen. L’idéologie partagée sur les vertus de la démocratie ethnique explique comment la découverte de la cause romani (3) par des dirigeants des institutions européennes conduisit à l’élaboration de programmes spécifiques. Des organismes non gouvernementaux comme la Fondation Soros accueillirent aussi les représentants de l’élite intellectuelle rom, rassemblée entre autres dans l’Union romani, un mouvement politique créé à Londres, en 1971, pour fédérer les organisations nationales à l’échelle internationale.

 

La Commission européenne et le Conseil de l’Europe adoptèrent au début des années 2000 le concept de « minorité européenne transnationale » comme modèle unique d’affirmation identitaire. Le but était de justifier, au regard du droit international et communautaire, l’interventionnisme financier du programme de la Décennie d’intégration des Roms (2005-2015), au nom de la lutte — nécessaire — contre les discriminations. La minorité transnationale devenait une entité politique abstraite dont nul ne se souciait de vérifier la conformité avec les réalités historiques et sociales. Cette vision bureaucratique de surplomb déconnectait les sociétés romanis des terroirs historiques. Les gouvernants de l’Est y virent aussitôt un double intérêt. D’un côté, ils percevaient la manne financière ; de l’autre, il leur suffisait de traduire l’idée de transnationalité par « nomadisme atavique » pour justifier… des expropriations (4). Sur le modèle de la Russie toute proche, qui multipliait les transplantations de villages roms. La suite sur CNRLa suite sur CNR

Publié dans DISCRIMINATIONS

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